Toutes les
guerres ont leurs symboles et leurs images qui restent gravés dans
la mémoire de l'histoire. Le bombardement de Gernica et le massacre
de Badajoz furent un des événements majeurs que les journalistes
ont capturé par des images et des enregistrements qui firent le tour
du monde, montrant le visage du fascisme. (1)
Les avions
nazis qui détruisirent la population civile de Gernica sortirent de
l’aérodrome de Villafría de Burgos, alors que le lieutenant
colonnel Juan Yagüe Blanco, dirigeait les colonnes qui tuèrent,
durant les premier jours du coup d'état , plusieurs milliers de
personnes en Andalousie et en Extramadure. Il fut distingué plus
tard comme capitaine général de la dictature franquiste de la VIe
Région militaire siégeant à Burgos, mais aussi comme citoyen
d'honneur et médaille d'or, la plus haute récompense de la mairie
de Burgos.
En plein
XXIe siècle, une exposition est prévue dans un espace municipal,
organisée par la fondation que préside Maria Eugenia Yagüe, avec
le titre de “Un homme et la résurrection de Burgos, Yagüe.»
Exposition impensable dans un pays démocratique.
Dans le
musée militaire de Burgos, dans la caserne Diego Porcelos dépendant
du Ministère de la Défense, en entrée libre, et où sont
organisées des visites scolaires, les panneaux informatifs citent à
côté de son buste : “ militaire exemplaire, obéissance, et
discipline” “ miséricordieux dans la victoire” “ il
participa au premier pont aérien de l'histoire militaire” , « il
initia avec des troupes réduites une avancée victorieuse” “ ses
troupes libérèrent Barcelone”.
Yagüe ne
fut pas un militaire exemplaire et obéissant, puisqu'il participa au
coup d'état contre le gouvernement de la République, élu
démocratiquement. Qui plus est, des images sont reproduites de son
monument du village de San Leonardo (province de Soria) , monument
démantelé en 2009, démantèlement qui fut suivi du départ du
Parti Populaire de Maria Eugenia après 29 ans de militance, laissant
sa carte numéro 1005.
Il ne fut
pas non plus miséricordieux dans la victoire. À Badajoz, en réponse
à la question du journaliste portugais Mario Nieves, au sujet des
rumeurs de 2000 fusillés sur les 3000 prisonniers comptabilisés par
Yagüe, celui-ci répondit : “ Il n'y en a pas autant”(2). Qui
plus est, lorsque le journaliste du Herald Tribune, John Whitaker le
questionna au sujet des fusillés, il n'hésita pas à confirmer le
massacre de 10% de la population : “Évidemment que nous les avons
tués. Qu'est-ce que vous croyez? Que j'allai amener avec moi 4000
prisonniers communistes, alors que mes troupes avançaient dans un
contre la montre? Ou bien que j'allai les relâcher à l'arrière du
front et laisser Badajoz redevenir communiste?» (3) Depuis le
commandement militaire de Badajoz, il affirma qu'il tuerait quiconque
s'affronterait à lui démocratiquement, “ Le droit de grève est
totalement interdit. Les responsables syndicaux, dont les
organisations proclameront la grève, ou ceux qui ne retourneront pas
au travail seront jugés dans des procès sommaires et passés par
les armes.» (4)
Bien qu'il
participa au pont aérien depuis l'Afrique du Nord vers la péninsule
ibérique, dès le début du soulèvement de juillet 1936, le Musée
militaire ne précise pas que ce premier pont aérien était composé
d'avions de Hitler et de Mussolini. Et ses “troupes réduites”
étaient composées de militaires expérimentés et armés, de
légionnaires marocains de l'armée régulière, déjà réputés
avant la Guerre Civile pour leurs atrocités durant la guerre
coloniale du Rif. L’utilisation par le Musée des termes de «
croisade de la libération » ou de “libération” est une
justification du fascisme et du coup d'état militaire.
Yagüe fut
un vice-roy de Burgos, durant une décade que nous pouvons nommer
d'ignoble (1943-1952). L'expression toute faite qui fait de Burgos
une ville de curés et de militaires est à moitié juste, elle fut
aussi la ville des familles de détenus et des détenus républicains
eux-mêmes, de centaines d’exilés et de nombreuses fosses communes
sous nos pieds.
“ Lui qui
fit tant pour Burgos”. Il fit un hôpital, puisque l'on sait que la
guerre cause beaucoup de blessés , mais aussi que Dieu donne les
maladies mais aussi ses remèdes. Parfois, comme c'est souvent le
cas, c'est la même personne. Il fit édifier aussi le quartier qui
porte son nom, des maisons extrêmement bon marché, près de la
prison bondée et bien loin du centre ville. Il ne fallait pas que
les ouvriers furent au coude à coude sur la promenade de l'Espolon
avec les distinguées demoiselles de la Section Féminine ou avec les
militaires gradés. Ce quartier fut construit dans le plus pur style
fasciste dont le but fut celui d'empêcher la circulation des
ouvriers et l'autosuffisance alimentaire.
Il réalisa
aussi la grande métropole militaire, le West Point ibérique, le
plan d'urbanisation de Burgos, rédigé par Paz Maroto (1943)
illustre un projet urbanistique où la présence militaire joue un
rôle remarquable dans le tracé de la ville avec son académie
d'ingénieurs, sa cité sportive et militaire, étranglant les accès
du quartier de Gamonal vers celui de Fuentes Blancas- les nouveaux
bâtiments du gouvernement militaire, la résidence des officiers, la
2e phase des logements des militaires, la caserne des troupes
sanitaires, l'agrandissement de l'aérodrome et des vieilles casernes
de Calzadas, etc. Tout cela sur le budget municipal qui par ailleurs
n'avait pas l'argent pour paver les rues, rénover des quartiers ou
combattre la famine et les maladies galopantes dans les quartiers
périphériques.(5)
L'Armée
espagnole possédait un peu plus de deux millions et demi de mètres
carrés d'installation militaires. Progressivement et en accord avec
les nouveaux critères de modernisation, le Ministère de la Défense,
depuis 1995, a décidé de vendre une bonne partie des terrains à la
mairie de Burgos. Le pouvoir du général Yaguë dans les années 40
avait obtenu, sous la pression, des terrains publiques pour les
installations militaires, et, quelques décennies plus tard, ces
mêmes terrains passent par des intérêts privés. Pendant ce temps
le problème du logement situe le marché immobilier de Burgos parmi
les plus chers de l'État espagnol, proche des prix de Madrid,
Barcelone ou San Sébastien.
Récemment
un rapport du Groupe de Travail de l'Onu sur les disparitions est
atterrant. L'Onu a demandé à l'état espagnol de cesser d’utiliser
la loi d'amnistie de 1977 comme excuse pour ne pas enquêter sur les
disparitions sous le franquisme et a exigé une enquête “exhaustive
et impartiale” qui déboucherait sur des condamnations des
responsables de ces délits, mais aussi sur la réparation et la
réhabilitation des victimes. Le gouvernement ignore ces
recommandations.
Le budget
que le gouvernement affecte aux associations pour les exhumations
des fosses communes, mais aussi la mise à disposition d'espaces
municipaux dédiés à ces mêmes associations sont proches du zéro.
Il est injustifiable que l'état et les différentes administrations
publiques ne mettent pas en place toutes les dispositions nécessaires
pour que les recommandations de l'ONU soient suivies. Nous ne pouvons
pas tourner la page des crimes contre l'humanité commis durant la
Guerre Civile et la dictature, sans reconnaître les victimes. Nous
devons exiger la vérité, la réparation et la justice.
Nous
demandons à la mairie de Burgos :
Qu'elle
retire les titres honorifiques de citoyen d'honneur et la médaille
d'or (1945) à Juan Yagüe Blanco: Qu'aucun espace municipal ne soit
dédié à la gloire de celui-ci. Qu'elle retire le monolithe de la
place Saint-Jean Baptiste et que soit changé les noms du quartier
pour un nom plus en accord. Qu'elle retire aussi les médailles d'or
de Francisco Bahamonde (1937), Fidel Dávila Arrondo (1939) et de
Luis Carrero Blanco(1974). Mais aussi qu'elle aide les organisations
qui travaillent pour la récupération de la mémoire historique des
victimes de la Guerre Civile et du franquisme à Burgos.
Nous
demandons au Ministère de la Défense:
Qu'il retire
tous les textes et plaques commémoratives glorifiant le coup d'état
de 1936 du Musée de l'Armée de la caserne Diego Porcelos, qui sera
prochainement transformé en capitainerie. Qu'il retire les
différentes images des chefs du coup d'état, les symboles et les
médailles nazis. De même, que soient élevés aux distinctions
honorifiques les militaires fidèles à la République et qui furent
fusillés à Burgos.
1-
Documetaire de la chaîne Historia, déclaration de René Brut (
http://youtube.com/watch?v=BKzFLsHLmoo)
2- Une du
journal Diario de Lisboa, 15
août 1936.
3-
John T. Whitaker, We cannot escape history,
Macmillan, N.Y, 1943, p. 113.
4-
Boletín oficial extraordinario de la provincia de Badajoz,
14 août 1936.
5- Luis Castro Berrojo, historien et auteur, Burgos « capitale
de la croisade ».
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